Conférences

Le programme des conférences sera publié prochainement.

Conférence introductive

Vivianne Châtel, Maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Fribourg

Conférence 1 

Patrick Savidan, "Responsabilité collective, culpabilité et inaction : réflexions croisées à partir de Iris Marion Young et Hannah Arendt"

"Il existe quelque chose comme la responsabilité pour des choses qu'on n'a pas accomplies", écrit Hannah Arendt en 1968. En 2011, la question de la responsabilité était reprise par la philosophe américaine Iris Marion Young, mais dans une perspective autre qui offrit à celle-ci l'occasion d'une relecture des réflexions arendtiennes.

Quels éclairages nous apporte aujourd'hui ce dialogue décalé entre les deux philosophes sur la question de la responsabilité et de la culpabilité en matière de justice sociale ?

Notice biographique 

Professeur en science politique au Département de droit public et de science politique à l'Université Paris-Panthéon-Assas. Patrick Savidan est le Directeur éditorial des Éditions Raison publique, et également cofondateur et président du conseil scientifique de l'Observatoire des inégalités. Ses travaux portent principalement sur la démocratie et la justice sociale et s'attachent à éclairer les questions morales et civiques que soulève notre époque en les reliant philosophieaux enjeux classiques et contemporains de la philosophie politique.

Conférence 2 

Jacques Fierens,  "Laissez-moi entrer dans la maison des morts " : dialogue entre Divine, Karl et Friedrich

La conférence propose un dialogue imaginaire entre Divine Umuhoza, rescapée du génocide des Tutsis, Karl Jaspers qui soutient que par notre condition même d’êtres humains, nous sommes tous coupables du mal commis à travers les pires des crimes, et Friedrich Nietzsche pour qui, l’homme étant malade de lui-même, la culpabilité n’est rien d’autre que désir de néant et refus de vivre. Divine Umuhoza est elle-même culpabilisée d’avoir survécu alors que tant de ses proches ont été assassinés en 1994. Près de trente ans plus tard, elle en veut encore non seulement aux salauds, mais aussi à ceux qui ont laissé commettre ces horreurs, dont les Belges, spécialement, et finalement à la terre entière. Karl Jaspers lui répond qu’il est vrai qu’en un sens, tous les humains sont responsables de tels crimes, mais qu’il n’est pas question de faire porter la moindre culpabilité aux victimes et qu’il faut s’efforcer de différencier la faute, la dette, la responsabilité et l’accusation. Friedrich Nietzsche ricane devant l’aveuglement de ses interlocuteurs en soutenant que le génocide des Tutsis est la preuve qu’il a raison depuis qu’il a fait parler Zarathoustra, et que les agneaux sacrifiés, face à la force des aigles et à leurs instincts, ne savent que bêler de lamentables cris d’amour et refuser la vie. Divine Umuhoza réduit Nietzsche au silence en lui répondant qu’elle a aujourd’hui trois enfants et qu’il n’a aucune idée de ce que ces trois vies disent d’essentiel sur l’humain. Ils lui ont permis d’entrer dans la maison des morts et d’aimer encore ceux qui sont de l’autre côté. Elle n’est plus une survivante, mais une plus que vivante.

Notice biographique 

Jacques Fierens est docteur en droit et licencié en philosophie.  Il est avocat au barreau de Bruxelles depuis 1977.  Il est professeur extraordinaire émérite de l’Université de Namur, professeur émérite de l’Université catholique de Louvain et chargé de cours honoraires de l’Université de Liège. Il a entre autres enseigné le droit international pénal. Il est professeur invité à l’Université Thomas Sankara, au Burkina Faso. Dans le cadre de la coopération universitaire belge, il a notamment enseigné la philosophie du droit à l’Université nationale du Rwanda, de 1995 à 2005, ainsi qu’à l’Université du Burundi, de 2004 à ce jour. C’est dans ce cadre qu’il tente de participer à une réflexion sur les génocides et les crimes contre l’humanité. Il travaille actuellement surtout sur les droits de l’enfant et les droits des personnes en situation de pauvreté.

Conférence 3 

Philippe Ryfman : Les ONG d’aide internationale : Culpabilité, compassion, mise en accusation

Le monde des ONG est vaste. Aucune définition ne fait consensus. L’idéal-type est celui d’organisations issues de la société civile (OSC). Parmi les catégories dominantes, l’humanitaire et l’aide au développement constituent l’une des principales, avec la défense des droits humains, les causes féministes ou encore les luttes environnementales. La relation entre culpabilité et aide est ambigüe et complexe. Dans le registre des émotions, c’est la compassion qui se trouve – surtout – mise en avant. Cependant, la culpabilité – non comme fait, mais comme sentiment – constitue soit un impensé, soit (plus rarement) une affirmation. Par exemple, quand il s’agit de réagir à ce qui est ressenti comme inacceptable. Particulièrement, lorsque des populations sont condamnées à l’errance, l’exil, la faim, l’oppression, ou simplement la marginalisation, voire l’abandon. Ce refus a été à la genèse d’organisations, telles Save the Children, Oxfam, Médecins Sans Frontières. Pour ces activistes, ne pas agir reviendrait à se rendre coupable d’une inaction. Pour autant – dans leur pratique – ces ONG sont systématiquement amenées à faire des choix entre les « victimes ». D’où – ici encore – le refoulement d’une culpabilité de ne pouvoir prendre en charge « tous les malheurs du monde ». Enfin, le ressort de la culpabilité est utilisé par des ONG sous l’angle du plaidoyer comme outil de dénonciation et de stigmatisation. Avec comme cibles des multinationales, des Etats, des Agences des Nations unies. La communication visera à mieux cerner – à partir de ce cadre – les manifestations de la culpabilité dans le champ de l’aide internationale délivrée par le milieu non-gouvernemental (ONG, Mouvement Croix-Rouge/Croissant-Rouge, essentiellement).

Notice biographique

Philippe Ryfman est docteur en science politique et diplômé d’études supérieures de droit privé. Avocat spécialiste en droit des associations et fondation, et Expert-Consultant, il conseille d’importantes ONG françaises. Il est aussi Chercheur sur les questions non gouvernementales et humanitaires en Relations Internationales. Il a, en tant que Professeur et chercheur associé (aujourd’hui honoraire), dirigé [à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne] – durant une quinzaine d’années – le Master Pro « Coopération Internationale, Action Humanitaire et Politiques de Développement ». Actuellement, il travaille sur la prospective stratégique du milieu ONG et de l’action humanitaire à l’horizon 2030, sous divers volets (conflits armés et droit international humanitaire, prisonniers de guerre, contre-révolution anti-associative, transnationalisation). Il est également Chercheur associé à l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire (OCCAH), UQAM/Montréal.

 

Conférence 4 

Nathalie Sarthou-Lajus : Redonner du sens à l’expérience de la culpabilité.

N’est-ce pas là une intention inactuelle un peu folle ? L’individu occidental n’a-t-il pas suffisamment souffert d’un surcroît de culpabilité, notamment sous l’influence de toute une tradition judéo-chrétienne ? Face à l’argument contemporain de déculpabilisation générale et au caractère scandaleux de la dette, l’invitation à redonner du sens à la culpabilité paraît une entreprise risquée. Pourtant, contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, l’affaiblissement de l’influence chrétienne sur le développement de la culture et sur la construction des identités ne correspond pas à une disparition de la culpabilité (encore moins de la dette !) dans nos sociétés. Il subsisterait même, selon Paul Ricoeur, « une trace négative » de cette influence, une forme de culpabilité plus complexe et terrifiante : une culpabilité sans faute réelle, sans législateur identifiable et sans pardon.
J’introduirai ce projet d’une réhabilitation de la culpabilité à partir d’une anthropologie philosophique qui, tout en soulignant les menaces du déni contemporain, réactive les questions suivantes : qui est l’homme coupable ? A-t-il les traits du méchant absolu, sujet souverain par lequel le mal advient, ou bien ceux du malade absolu, « l’homme malade de lui-même », dont Nietzsche a dressé un saisissant portrait dans La Généalogie de la morale ? A moins qu’il ne soit qu’une figure, parmi d’autres, de l’homme vulnérable, témoignant de la fragilité de l’action humaine ? 

Notice biographique 

Docteure en philosophie, Nathalie Sarthou-Lajus est rédactrice en chef adjointe de la revue Etudes, mensuel de culture contemporaine fondé par jésuites. Ces travaux relèvent d’une anthropologie philosophique qui se situe à l’interface des questions philosophiques et des questions religieuses. Elle titulaire d’une thèse de philosophie morale sur les relations entre la dette et la culpabilité. Elle est l’autrice d’une dizaine d’ouvrages qui portent sur la dette, la culpabilité, la transmission et la question de la dépendance. Son dernier ouvrage, Vertige de la dépendance (Bayard, 2021), a obtenu le prix de philosophie des lycéens 2022. 

Conférence 5

Danilo Martuccelli : La culpabilité ou comment contenir les individus.  

La présentation proposera d’analyser la culpabilité à partir des grands changements survenus dans les manières dont les sociétés parviennent à contenir les individus. Longtemps la culpabilité a été la principale voie, y compris en tant qu’idéal moral, voire juridique, par laquelle ce contrôle, déposé dans la conscience de chacun, a été pensé que ce soit dans la littérature ou dans les sciences sociales. Les mutations contemporaines changent radicalement la donne bouleversant l’enjeu de comment contenir les individus au profit d’autres modalités et mécanismes, avec d’autres intensités et sentiments. Cette donne sociale invite à repenser la culpabilité au travers de nouvelles analyses inextricablement psychologiques et sociologiques, subjectives et collectives. 

Notice biographique

Danilo Martuccelli est professeur de sociologie à l’Université Paris Cité et chercheur à l’Universidad Diego Portales. Ses principaux thèmes de recherche sont la théorie sociale, la sociologie politique et la sociologie de l’individuation. Auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages, son dernier livre en langue française a été publié par Schwabe Verlag, Une « autre » introduction aux sciences sociales (2021).

Conférence 6

Marc-Henry Soulet, La culpabilité fait-elle agir ?

Évidemment ! Sinon, qui serions-nous ? Un être froid, sans émotions et sans valeur(s) ? Et pourtant ! Cette conférence s’attachera, en faisant le parallèle avec une autre expérience morale elle aussi liée à la question de l’action, la compassion, à souligner 1) que la culpabilité est fille de l’inaction et 2) que, si, à la suite de son émergence, de l’action naît, il n’existe aucun lien de causalité politique ou éthique entre culpabilité et action. Pour que de l’action advienne à la suite d’un sentiment de culpabilité, cela suppose un changement de posture et, donc, une transmutation de la culpabilité en une indignation devant un inadmissible social, en une révolte devant une injustice moral, en un engagement pour une cause politique. Bref, il importe que la culpabilité se socialise, sinon l’acte posé, quel qu’il pourrait être, ne serait que volonté d’expiation d’un sentiment de faute ou de manquement.

Notice biographique 

Professeur ordinaire à l’université de Fribourg, titulaire de la Chaire de travail social et politiques sociales. Il est Président d’honneur de l’Association internationale des sociologues de langue française. Il a centré ses travaux sur l’analyse de l’intervention sociale en contexte d’incertitude et sur l’interprétation en sciences sociales. Il dirige la collection Res Socialis aux Éditions Schwabe de Bâle.